Essais américains aux Marshall
Entre le 30 juin 1946 et le 22 juillet 1958, les Etats-Unis ont effectué 67 expériences de bombes A et H au-dessus des atolls de Bikini et Enewetak dans l’archipel des Marshall.
L’énergie développée par les 25 essais nucléaires atmosphériques effectués au-dessus de l'atoll de Bikini représente l’équivalent de plus de 5000 bombes d’Hiroshima. L’énergie des 42 essais nucléaires atmosphériques tirés au-dessus de l'atoll d'Enewetak représente plus de 2000 bombes d’Hiroshima.
Exil définitif pour les Bikiniens
Au début de 1946, les 161 habitants de Bikini furent évacués et installés sur le petit atoll inhabité de Rongerik (environ six fois moins grand que Bikini). En 1948, les Bikiniens furent déplacés sur la base navale américaine de Kwajalein, et huit mois plus tard sur l'atoll de Kili. Après quelques mois de réinstallation de 139 insulaires sur Bikini, au début des années 1970, ils durent être déplacés à nouveau à Kili où ils vivent encore avec leurs descendants.
En 1998, une étude de l'
AIEA estimait que les habitants de Bikini pourraient retourner chez eux à conditions que de nouvelles opérations de décontamination soient effectuées. Ces opérations n’ont pas été effectuées avec succès.
Pendant quelques années, une agence touristique de Californie a organisé de courts séjours de plongée dans le lagon de Bikini pour les vétérans qui voulaient reconnaître les lieux où ils avaient participé aux essais. Ces « touristes » pouvaient effectuer des reconnaissances sur les bâtiments de la marine américaine qui furent coulés dans le lagon lors des explosions. Avant leur séjour à Bikini, les « touristes » devaient signer une décharge stipulant qu’ils n’attaqueraient ni l’Agence de voyages, ni l’Etat américain en cas de maladies pouvant survenir ultérieurement. Le 11 juin 2008, en raison de la hausse du coût du carburant et faute de clients, le gouvernement des Marshall a décidé d’annuler la liaison aérienne entre Majuro et Bikini. Les visites touristiques sont donc terminées.
Quant aux Bikiniens et leurs descendants, ils vivent toujours sur Kili et nombre d’entre eux sont aujourd’hui dispersés aux Etats-Unis.
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Exil et retour des habitants d’Enewetak
En mai 1946, les habitants d'Enewetak furent évacués contre leur gré sur l'ilôt Meck de l'atoll de Kwajalein, puis en décembre 1947 sur l'atoll inhabité d'Unjelang. Après 43 essais aériens (voir le tableau), l’atoll fut très gravement contaminé. En 1973, une étude radiologique de l'atoll d'Enewetak révèle que certaines parties de l'île resteront contaminées par le plutonium et inhabitables pour 240 000 ans.
Le 15 mai 1977, l’armée américaine a commencé la décontamination des îlôts d’Enewetak avec un important matériel et plus de 4000 militaires américains amenés sur place, avec les objectifs suivants :
• suppression de tous les déchets et débris (radioactifs ou non radioactifs, incluant équipements, béton, ferraille, etc.),
• élimination de tout sol superficiel dépassant 14,8 Bq de plutonium par gramme de sol
• supprimer ou « améliorer » les sols dont la radioactivité due au plutonium était comprise entre 1,48 et 14,8 Bq (40 et 400 pCi) de plutonium par gramme de sol, avec traitement au cas par cas selon l’utilisation ultime envisagée pour le sol.
• inertage (stabilisation); les sols radioactifs de 6 îles de l’atoll ont été décapés et mélangés avec de nombreux débris des anciennes installations inertés par mélange dans une matrice de liant hydraulique (du ciment Portland). Cet « inertage » ne réduit pas la radioactivité des déchets, mais empêche les envols sous forme de poussière et le lessivage par la pluie. Ce phénomène de dispersion des poussières radioactives avait commencé depuis les années 50. En effet, la décontamination des avions et du matériel se faisait le plus souvent au tuyau d’arrosage, sans traitement des eaux contaminées. La pluie lessivait les particules en les emportant à la mer ou les fixant dans le sol.
• Ces déchets (incluant 73 000 mètres cubes de sol contaminé) ont été enfouis dans le cratère de la première explosion (dit « Cactus cratère »), le plus important à l’extrémité nord de l’îlôt Runit en limite Est de l’atoll. Le volume de déchets noyés dans le béton constitue un dôme sphérique de 8 mètres de haut, lui même recouvert d’un béton (bouchon) fait de béton dense et jouant le rôle de sarcophage.
Le gouvernement des États-Unis a décrété que les îles sûres pour la réinstallation des habitants en 1980, en dépit des risques liés aux conséquences des essais et de leurs retombées sur les milieux sous-marins périphériques. Enewetak devra être suivi pour très longtemps, un des problèmes étant que ces sites hautement contaminés sont aussi très menacés par la montée des océans induite par le changement de climat et que l’atoll se trouve dans une zone où les tremblements de terre et tsunamis ne peuvent pas non plus être exclus.
Depuis 2001, le suivi des habitants d’Enewetak (plus de 800 personnes) est effectué par un laboratoire de suivi radiologique installé sur Enewetak. Ce laboratoire est contrôlé par le Lawrence Livermore Laboratory américain (qui participait également aux essais nucléaires) dans le cadre des accords de compensations conclus entre les Etats-Unis et la République des Iles Marshall.
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L’essai Bravo du 1er mars 1954 sur Rongelap
Le 1er mars 1954, les Américains firent exploser au-dessus de Bikini la bombe la plus puissante de tout le programme d’essais américains. L’essai thermonucléaire (bombe H) désigné sous le nom de « Bravo » a développé une énergie de 15 mégatonnes, soit mille fois celle de la bombe d’Hiroshima. Les retombées radioactives de l’essai « Bravo » affectèrent les populations des atolls voisins de Rongelap, Rongerik et Utirik qui n’avaient pas été déplacées.
En 1993, quand l’administration Clinton décida l’ouverture complète des archives des essais aériens américains dans le Pacifique et au Nevada, les chercheurs tombèrent sur des documents incroyables. Ils découvrirent un rapport secret désigné sous le code « Project 41.1 » daté de novembre 1953 (environ 4 mois avant le tir Bravo) qui avait pour objet d’étudier les effets des radiations sur les êtres. Le « Project 41.1 » prévoyait l’évacuation des populations de Rongelap, Rongerik et Utirik seulement après le tir Bravo. C’est ce qui fut réalisé le 3 mars 1954 : les Américains évacuèrent les 236 insulaires atteints de nausées, de pertes de sang et de cheveux vers l’atoll de Kwajalein où ils furent « étudiés » par les médecins militaires. Les études ont montré que 64 d’entre eux avaient déjà absorbé, en 3 jours, une dose de radioactivité évaluée à 1900 mGy.
Jusqu’à la découverte du « Project 41.1 », la version « officielle » racontait que les autorités des essais américains avaient « oublié » d’évacuer les habitants de Rongelap, Rongerik et Utirik.
De plus, ce même jour, les 23 membres de l’équipage d’un bateau de pêche japonais, le « Dragon du bonheur » se trouvèrent sous le nuage radioactif.
Voir encadré : L’histoire effrayante du Fukuryu Maru
En juin 1957, 250 insulaires de Rongelap furent autorisés à retourner sur leur atoll. Mais en mai 1985, à leur demande, ils furent à nouveau évacués à la suite d’un rapport alarmant du Department of Energy américain.
En 1999, des travaux de réhabilitation ont été effectués par arasement des sols. Après que des chercheurs aient estimé que la radioactivité de Rongelap était inférieure à celle que l'on mesure à Tokyo et Hiroshima, certains des 400 habitants de cet atoll sont rentrés sur leurs terres, mais ils doivent se nourrir d’aliments importés. Cependant certaines zones de l’atoll restent encore gravement contaminées, notamment au césium-137 et au plutonium.
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Des accords de compensation pour quatre atolls
En 1986, les Iles Marshall ont conclu avec les Etats-Unis un accord de "libre association" incluant un système de compensation pour les dommages causés aux populations et à leurs biens par les essais nucléaires américains. Une somme de 150 millions de dollars américains avait été débloquée pour créer un fonds de compensation et des soins médicaux pour quatre des 29 atolls habités des Iles Marshall (Bikini, Enewetak, Rongelap et Utirik sont les seuls atolls légalement reconnus par l'actuelle législation américaine). En plus de ce fonds, les Marshall doivent obtenir plus de 4 milliards de dollars pour des compensations attribuées, mais qui restent en suspens dans les tribunaux américains.
Le « Tribunal des Réclamations Nucléaires » de Majuro (capitale des Iles Marshall) gère le fonds pour le règlement des compensations. Ce tribunal reconnaît 34 maladies pour lesquelles les gens peuvent obtenir des compensations et peut également dédommager pour des terrains et propriétés affectés. Jusqu'à septembre 1998, le tribunal a adjugé pour 65 millions de dollars en règlement pour des plaintes concernant des atteintes personnelles à la santé et des cas de cancer. Cependant, le fonds n'a été alimenté que de 45 millions de dollars par les Etats-Unis et ne permet que des règlements partiels. Plus d'un tiers des 1 574 plaignants éligibles pour des compensations sont morts sans avoir reçu leur payement complet .
Le Tribunal vient seulement de commencer à examiner les plaintes concernant les terres et l'environnement, bien que le fonds soit déjà épuisé. Entre le 14 et le 23 avril 1999, le Tribunal a reconnu l'évidence des effets de 43 essais nucléaires sur les îles des habitants d'Enewetak : perte de l'usage de leurs terres, coût de la restauration d'Enewetak et 33 années d'exil sur l'atoll d'Ujelang. Les réclamations pour Enewetak seulement ont été estimées à 235 millions de dollars.
En mai 1999, le sénateur de Bikini Henchi Balos a assuré que la somme supplémentaire de 90 millions de dollars allouée par le Congrès américain pour la décontamination de l'atoll de Bikini n'est pas suffisante. Les habitants de Bikini qui ont toujours espoir de retourner sur leur atoll, veulent obtenir de la part des Américains des assurances que leur île est sans danger et les sols exempts de résidus radioactifs, notamment de césium 137.... Vraisemblablement, ils ne pourront jamais retourner sur leur atoll.
En 1996, la population de Rongelap avait signé un accord de près de 40 millions de dollars pour préparer sa réinstallation dans l'île.
Les archives sont ouvertes : vingt atolls contaminés !
L'accord de 1986 comprenait une clause prévoyant une renégociation si les circonstances avaient changé et si l'allocation attribuée était manifestement inadéquate à la lumière des problèmes de santé qui augmenteraient ou de données scientifiques ultérieurement publiées. Ces dernières années, "les changements de circonstances" sont mieux connus. Depuis 1995, le Département américain de l'Energie a déclassifié plus de 10 000 documents auparavant réclamés par le gouvernement des Iles Marshall. Ces documents comprennent des études sur les radiations nucléaires et des données sur les essais réalisés aux Iles Marshall dans les années 1940 et 1950.
Selon 78 de ces documents, on constate que les retombées radioactives des essais de Bikini et Enewetak ont contaminé beaucoup gravement les Iles Marshall. Tout comme les quatre atolls précédemment reconnus par le gouvernement américain, des contaminations très importantes ont affecté plusieurs autres atolls : Ailuk, Wotje, Likiep, Jemo, Kwajalein, Wotho, Erikub, Arno et Maloelap. Selon une étude de 1955 de la Commission de l'Energie Atomique déclassifiée en 1995, 20 sur les 22 atolls habités surveillés par cette Commission ont reçu des de retombées excédant les limites d'exposition établies par la Commission Internationale de protection radiologique (
CIPR). Les habitants de Mejit - à 322 miles de Bikini - furent aussi exposés aux radiations, mais ils n'ont reçu aucune compensation.
Graves conséquences sur la santé
Une récente étude réalisée par des médecins japonais a montré que 10 % de la population avait des tumeurs à la thyroïde. Un autre rapport récent publié dans le journal de l'American Cancer Society montre que "les taux d'incidence du cancer sont plus élevés dans chacune des catégories dans les Iles Marshall comparés à ceux des Etats-Unis pour la période 1984-1994" . Le rapport se réfère à 470 décès par cancer enregistrés par le Tribunal des Réclamations Nucléaires. Il révèle que le taux de cancer du poumon est 3,8 fois plus élevé chez les hommes et 3,09 fois chez les femmes qu'aux Etats-Unis ; les cancers du cerveau, 5,8 fois plus fréquents tandis que les cancer du foie sont 15,3 fois plus fréquents chez les hommes et 40 fois plus chez les femmes.