Surveillance maintenue par la France
Avec une telle recommandation de l’AIEA, pourquoi la France a-t-elle maintenu une surveillance des deux atolls nucléaires ?
En fait, depuis le début des essais, des mesures de surveillance radiologique, puis de stabilité géologique étaient effectuées par les « services mixtes Armées-
CEA »
SMSR et
SMCB et par les experts géologues du
CEA après les premiers effondrements. La France avait même fourni à l’
AIEA, en 1997, un « guide de surveillance radiologique » et un « guide de surveillance géomécanique ». Ainsi, malgré la recommandation de l’
AIEA, la France estimait devoir poursuivre la surveillance des atolls, notamment avec les moyens techniques mis en place dès la fin des essais.
Mais la décision française avait également un autre objectif. Abandonner la surveillance, signifiait que la présence militaire française ne se justifiait plus et que les atolls devraient être restitués à la Polynésie selon la délibération de l’Assemblée territoriale de 1964. Autrement dit, la France ne voulait pas laisser la porte ouverte à des expertises indépendantes que les autorités polynésiennes n’auraient pas manqué de solliciter. Les autorités françaises décidèrent donc la poursuite de la surveillance des deux atolls reposant sur le principe de l’« auto contrôle ».
Cette pratique d’auto contrôle est une constante pour la gestion de tous les sites et installations nucléaires militaires français. Des rapports de surveillance sont publiés sous l’autorité du ministère de la Défense ou du
CEA. On y constate des carences et même des falsifications. Ainsi les rapports de surveillance radiologique de Moruroa et Fangataufa ne font nulle mention des rejets en mer de déchets radioactifs effectués par la
DIRCEN jusqu’en 1982, nulle mention des déchets radioactifs enfouis dans les hauts des puits de tir souterrains aujourd’hui immergés, nulle mention des kilogrammes de plutonium abandonnés sous quelques mètres d’eau sur le récif Colette de Moruroa. Aucune allusion n’est faite aux anciennes installations de Hao où le
CEA et le
SMSR effectuaient des travaux sous rayonnements ionisants…
Pour s’épargner tout risque de contrôle extérieur, y compris par des organismes officiels français, le ministère de la Défense a créé une structure juridique spécifique pour toutes ses installations ou sites nucléaires militaires : les
INID (Installations nucléaires intéressant la Défense). Il est probable que la commission permanente de l’Assemblée territoriale qui céda à la France, le 6 février 1964, les deux atolls de Moruroa et Fangataufa n’imaginait pas que la zone de 12 miles nautiques entourant les deux atolls deviendrait aussi une zone militaire interdite.
Même dans les législations les plus récentes qui risqueraient d’imposer un contrôle « civil » des deux atolls, le ministère de la Défense impose une réserve. Ainsi, la loi du 13 juin 2006 sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire exempte les atolls de Moruroa et de Fangataufa ainsi que toutes les installations et activités nucléaires de la Défense de tout contrôle « extérieur ». En matière nucléaire, le ministère de la Défense doit être considéré comme « hors la loi » au nom du secret de la Défense nationale.