Conséquences des essais : la vérité et le droit des victimes
La place des scientifiques dans notre recherche de vérité
Notre combat a pour objectif de faire la vérité sur les conséquences des essais nucléaires et la place des scientifiques et des chercheurs est indispensable à notre combat.
Au cours de ce colloque, nous avons entendu clairement et sans ambiguïté nos intervenants affirmer que les contaminations et les irradiations ont eu des effets jusque dans notre patrimoine génétique. Aujourd’hui même, nous a dit le Professeur Claude Parmentier, on peut mesurer des atteintes aux chromosomes dix fois supérieures au maximum annuel admissible pour les travailleurs du nucléaire chez des malades polynésiens du cancer de la thyroïde qui ont toujours vécu à plus de 1000 km de Moruroa.
Les chercheurs que nous avons entendus nous disent aussi que beaucoup de ceux qui ont travaillé aux essais nucléaires ont eu une vie écourtée- la moyenne d’âge du décès pour les vétérans néo-zélandais est de 51 ans ! – et pour la majorité une vie empoisonnée par la maladie et les cancers.
Les chercheurs nous disent encore qu’avec le temps qui passe, il est de plus en plus difficile de faire des études crédibles car les effets des radiations absorbées 20 ans, 30 ans ou même 40 ans plus tôt se mélangent avec ceux dus à l’âge ou aux autres maladies. Et cela coïncide, hélas, avec les intérêts des Etats qui minimisent les conséquences de leurs essais nucléaires et qui se servent du « secret militaire » pour refuser l’accès aux données indispensables sur les essais retardant ainsi les travaux des chercheurs qui pourraient contredire la thèse insensée des « essais propres ».
Les travaux des chercheurs et en particulier ceux qui montrent les atteintes du nucléaire sur le patrimoine génétique sont indispensables pour que les Etats prennent leurs responsabilités vis-à-vis des victimes.
Le temps du droit et de la politique
Nous le savons tous, l’aboutissement de la recherche nécessite de longs délais et laisse toujours une place au doute nécessaire à la science. Maître Jean-Paul Teissonnière, avocat des associations de vétérans et des anciens travailleurs de Moruroa, a tenu à rappeler que la solution des problèmes des victimes et l’exigence de réparations ne dépendent pas que de la science. L’action et la décision politique, l’argumentation juridique sont aussi des moyens pour faire avancer la vérité et la justice.
Mrs Carah Ong a rappelé à l’assemblée que ce ne sont pas tant les études scientifiques qui ont permis aux habitants des Marshall et aux populations « sous le vent des essais » du Nevada d’accéder aux réparations et aux indemnisations de la part du gouvernement américain. C’est à partir du moment où le Congrès américain a pris acte que les essais aériens n’étaient pas propres et admis le principe de la présomption d’un lien entre un certain nombre de cancers avec les essais nucléaires que le droit des victimes a pu s’exercer.
C’est cette étape politique qui est aujourd’hui indispensable pour faire avancer le droit des victimes des essais nucléaires français.
Ce constat souligne toute l’importance du travail de nos parlementaires. Commissions d’enquêtes, propositions de loi et autres initiatives des élus sont indispensables pour répondre à l’urgence d’une réponse à donner à ceux qui subissent les conséquences des essais dans leur vie quotidienne. Le travail parlementaire et les actions en justice sont nécessaires pour convaincre les dirigeants à prendre leurs responsabilités au regard de décisions nucléaires de leurs prédécesseurs.
Le rôle de la société civile
Mais, les élus l’ont rappelé, ils ne peuvent pas grand-chose sans le soutien des citoyens et de leurs associations. Le rôle de la société civile est de faire connaître la réalité des conséquences sanitaires et environnementales des essais et d’exiger réparation pour les victimes, travailleurs et populations.
Les témoignages et les interpellations entendues lors du colloque sont indispensables à l’information sur la réalité des conséquences des essais nucléaires, mais aussi pour montrer aux élus l’urgence de la réponse à donner à leurs attentes. La souffrance et la colère des travailleurs qui s’est exprimée avec véhémence ont ému tant les parlementaires que l’assistance. Ces propos d’une grande intensité vont donner un visage à la loi que nous devrons mettre en œuvre pour rendre justice aux victimes.
Une solidarité internationale à poursuivre
Les conséquences sur la santé et l’environnement des essais et des armes atomiques sont vécues par de nombreux peuples de la planète. Le devoir de réparation est bien sûr de la responsabilité de chacun des Etats qui a effectué des essais nucléaires. Mais c’est aussi de la responsabilité de la communauté internationale et des dirigeants des grandes puissances qui ont entraîné le monde entier dans la course aux armes nucléaires dont nous ne sommes pas encore sortis.
Le projet d’un texte de droit international qui prenne en compte l’assistance aux victimes des essais nucléaires, comme cela a été réalisé pour les victimes des mines antipersonnel, a été évoqué. Mais alors que le traité d’interdiction des essais nucléaires n’est pas entré en vigueur, la priorité n’est-elle pas à l’universalisation de ce traité ?
Demain à l’Elysée ?
Nous devons cependant faire un constat encourageant sur le chemin de la reconnaissance du droit des victimes des essais nucléaires français. Ici, en Polynésie française, nous avons fait un pas considérable. Les anciens travailleurs et Moruroa e tatou ne sont plus seuls à se battre contre l’Etat français pour qu’il accepte de prendre ses responsabilités. Les élus de la majorité de l’Assemblée de la Polynésie se trouvent à leur côté. Le gouvernement du Pays se trouve également à leur côté. Nous ne sommes pas ici dans un lieu anonyme : nous à la Présidence du Pays pour exprimer les droits des victimes des essais nucléaires. Ce n’est pas rien !
Alors peut-être demain serons-nous à l’Elysée ? Chiche, notre prochain colloque se tiendra à Paris accueillis par (le) la Présidente qui fera honneur à la « Patrie des droits de l’homme » en reconnaissant les responsabilités de la France vis-à-vis des victimes de ses essais nucléaires.
Propositions finales du colloque
Les participants réunis à Papeete à l'invitation du gouvernement de la Polynésie française pour le colloque anniversaire de la première bombe à Moruroa des 29 et 30 juin 2006, demandent à leurs gouvernements respectifs de prendre les engagements suivants pour que vérité et justice soient rendues aux hommes et aux femmes qui ont subi et subissent encore aujourd'hui les conséquences des essais nucléaires :
• que les victimes des essais nucléaires soient entendues et que des réparations soient prises à la mesure du préjudice subi dans leur santé,
• que les zones, îles et atolls dévastés et contaminés par les explosions nucléaires soient nettoyés afin que nous-mêmes et les générations à venir puissent vivre dans un environnement sain, propre et définitivement débarrassé de la menace nucléaire,
• qu'une interpellation officielle de la communauté internationale soit effectuée par la voie diplomatique afin qu'il soit mis fin à un demi siècle de guerre froide. Par un texte de droit international, les Etats doivent assumer leurs responsabilités vis-à-vis des victimes d'Hiroshima, de Nagasaki, de Bikini, d'Enewetak, du Nevada, de Montebello, d'Emu Field, de Maralinga, des Iles Malden, de Kiritimati, de Johnston, de Reggane, d'In Eker, de Moruroa, de Fangataufa, du Kazakhstan, de Nouvelle-Zemble, de Sibérie, de Lop Nor (Chine), d'Inde et du Pakistan.
Comme elle l'a réalisé dans le cadre du traité d'Ottawa pour l'assistance aux victimes des mines antipersonnel, la communauté internationale doit prendre en compte toutes les victimes des essais nucléaires.