L’installation du CEP
La plupart des documents connus de la
DIRCEN citent Tureia dans la liste des « postes périphériques », mais on ignore dans quelles conditions l’installation des infrastructures et des personnels des essais dans ces îles ou atolls a été conclue. Il ne semble pas qu’une demande officielle d’installation du
CEP dans les « postes périphériques » ait passé par l’Assemblée territoriale. Les transactions se sont faites entre l’intendant militaire et les propriétaires : des baux de location ont été signés sur le même modèle et avec les mêmes conditions que ceux qui ont été conclus avec des propriétaires de Hao.
Pour les autorités du CEP, l’intérêt de la base de Tureia était surtout « scientifique ».
C’était un lieu idéal d’observation « fixe » pour les météorologues et pour les radiologistes des deux organismes spécialisés : le Service Mixte de Sécurité Radiologique (
SMSR) et le Service Mixte de Contrôle Biologique (
SMCB). Les observations des tirs aériens depuis Tureia étaient complétées par une petite unité chargée de photographier les explosions : on y employait même des autochtones. Pendant les campagnes de tirs, d’autres scientifiques s’installaient à Tureia, tels les Professeurs Rocard, Bugnard, Le Nouvel et de nombreux experts du
CEA. Bref, Tureia était un véritable « laboratoire » qui permettaient d’engranger des données sur les multiples répercussions des essais nucléaires.
Une question d’importance reste sans réponse à ce jour. La petite population autochtone de Tureia, avec un maximum de 80 personnes pratiquement toutes présentes sur l’atoll pendant la période des essais aériens, a-t-elle fait l’objet d’« observations » biologiques ? Les habitants de Tureia ne constituaient-ils pas, pour les scientifiques, un « groupe témoin » idéal exposé à distance aux expériences nucléaires, contrairement aux personnels militaires ou du
CEA qui ne restaient sur l’atoll que pour des durées limitées ? Les archives des essais américains aux Iles Marshall ont permis de découvrir, près de 50 ans plus tard, que la population de l’atoll de Rongelap avait été exposée volontairement, à des fins d’études, aux retombées de l’essai Bravo du 1er mars 1954.
Les Français auraient-ils fait de même, dans un contexte de guerre froide, pour examiner les répercussions d’une éventuelle guerre nucléaire sur une population proche des zones de combat ? Certains s’offusqueront peut-être d’une telle allégation. Pourtant, l’Etat-Major de la Marine nationale avait bien une telle préoccupation. Dans un rapport de « fin de campagne » de 1966, quatre pages sont consacrées à ce thème sous le titre « Essais de généralisation à la défense en guerre nucléaire » (Voir en Archives. Année 1966, le document : « 7 décembre 1966. Rapport de fin de campagne 1966 (Marine nationale 7 décembre 1966) ».
Cependant, nous n’avons pas trouvé de documents faisant état de telles recherches « scientifiques » sur les habitants de Tureia. La question reste pourtant légitime quand on constate que la population de l’atoll de Tureia est la seule à avoir été examinée en spectrogammamétrie chaque année des tirs aériens de 1966 à 1974.