Les essais américains sur le territoire des Etats-Unis
Le premier essai nucléaire américain, dénommé « Trinity », s’est déroulé le 16 juillet 1945 à Alamogordo, sur une zone « désertique » du Nouveau-Mexique. Les dirigeants du programme « Manhattan » disposaient à cette période de quantités de plutonium nécessaire pour fabriquer deux bombes et d’uranium pour une seule bombe. Avant d’utiliser quelques semaines plus tard, une bombe de chaque type à Hiroshima (uranium) et à Nagasaki (plutonium), les savants et militaires américains ont voulu tester, dans le plus grand secret, la bombe « Trinity » au plutonium. L’histoire a retenu de grandes déclarations philosphico-religieuses des grands patrons, scientifiques et militaires, qui assistèrent effarés à cette explosion d’un type nouveau. Retenons celle qui fut rapportée du chef des essais, Kenneth Bainbridge, murmurant à l’oreille d’Oppenheimer :
" A partir de maintenant, nous sommes tous des fils de pute… "
Les Etats-Unis ont effectué 1127 essais nucléaires – le record mondial, au moins en nombre – dont 1 077 sur le territoire des Etats-Unis, y compris les 22 essais de sécurité (voir le tableau dans les documents ci-contre). Dans ce total, on compte 100 essais aériens sur le site du Nevada.
Les spécialistes de la désinformation – français pour la plupart – font remarquer que les Américains ont fait exploser une centaine d’essais aériens sur le site d’essais du Nevada, à quelques dizaines de kilomètres de la ville de Las Vegas. Cette affirmation, reprise dans le Livre blanc sur les expérimentations nucléaires de 1973, sert d’argument pour défendre les « essais propres ». En fait, au début des années 1960, c'est-à-dire au moment de la fin des essais aériens, Las Vegas comptait environ 65 000 habitants : ce n’est pas la grande ville que l’on connaît aujourd’hui qui compte près de 570 000 habitants.
Evidemment, les risques encourus par les habitants de la région proche du site du Nevada ou par les voyageurs qui passaient à proximité du site d’essais dans les années 1950 (voir le récit dans les documents ci-contre) ont été énormes. Les Américains ont dû le reconnaître et la loi fédérale d’indemnisation de 1988 admet l’indemnisation des habitants qui habitaient cette région à l’époque des essais aériens. L’ouverture des archives des essais nucléaires décidée par l’administration Clinton, en 1993, a permis d’apporter les preuves concrètes de la contamination due aux retombées radioactives des essais aériens.
Cependant, si l’on compare les énergies développées par les bombes testées dans l’atmosphère par les Etats-Unis au Nevada avec celles qu’ils ont fait exploser dans les îles du Pacifique, on ne manquera pas d’être indigné. Pour un nombre d’essais approximativement identique (une centaine), les énergies déployées ont été 113 fois plus importantes dans le Pacifique. Une nouvelle fois, l’ouverture des archives des essais en 1993 a permis de découvrir que ce n’étaient 4 atolls des Marshall qui avaient été contaminées par les essais aériens américains mais bien 20 atolls de cet archipel (voir en Archives CRSreportRMI14 mars 2005).
Concernant les essais souterrains, les chiffres varient selon les sources d’information. En effet, les Etats-Unis et l’URSS ont distingué les « essais » et les « explosions ». En effet, certains essais comportaient plusieurs explosions simultanées, ce qui était admis par les traités. En fait, ces « subtilités » ont eu pour principal objet de contourner le traité de limitation des essais qui interdisait des essais souterrains de plus de 150 kt. Les Américains et les Soviétiques ont donc fait exploser plusieurs engins, dans des puits différents, à quelques secondes d’intervalle pour se conformer aux dispositions du traité de limitation des essais souterrains.
Le rapport
UNSCEAR 2000 indique 908 essais souterrains américains (tous sur le territoire des Etats-Unis) dont 897 au Nevada sans distinguer les essais des explosions. D’autres rapports distinguent les « essais » des « explosions » et font un décompte différent : 845 essais souterrains pour 940 explosions. Ces chiffres montrent la complexité des données sur les essais nucléaires que l’on doit considérer plutôt comme des ordres de grandeur que comme la réalité chiffrée.
Comme on le sait maintenant pour les essais souterrains français, les essais souterrains américains n’ont pas été tous « contenus ». Les Etats-Unis ont reconnu depuis longtemps des fuites de leurs essais souterrains et ont même diffusé des photographies de certaines de ces fuites. La fuite la plus spectaculaire eut lieu le 18 décembre 1970 au Nevada : l’essai souterrain « Baneberry » provoqua une large contamination en iode radioactif en en gaz rares depuis le Golfe du Mexique jusqu’au Canada. Selon le livre « Atomic Audit », rapport considéré comme historique et publié en 1998, le tiers des essais souterrains américains n’a pas été « contenu ».
Le 24 septembre 1996, le Président Clinton a signé le traité d’interdiction totale des essais nucléaires, mais le Congrès ne l’a pas ratifié. Néanmoins les Etats-Unis se sont conformés à ce traité et ont cessé leurs essais nucléaires souterrains. Pourtant, comme la France et la Russie, les Etats-Unis poursuivent des « expériences » dites « sous-critiques », autorisées par le traité d’interdiction totale des essais… principalement parce qu’elles sont de très faible puissance et difficilement détectables par le réseau de surveillance du traité. Officiellement, ces expériences « sous-critiques », réalisées sur le site du Nevada, sont destinées à la surveillance et à la sécurité du stock d’armes nucléaires, mais des milliers de telles expériences faisaient déjà partie du programme d’essais nucléaires américains. En fait, de nombreux experts indépendants constatent que ces essais sous-critiques permettent aussi la mise au point des armes nucléaires du futur sans recourir à des essais « grandeur nature ». Selon les règles de transparence en vigueur aux Etats-Unis, quelques informations sur ces tirs sous-critiques sont annoncées avant et après chaque tir (voir le document ci-contre).
Les Etats-Unis n’ont pas fermé leur site d’essais du Nevada et cela sert d’argument aux autorités françaises pour montrer que la France a été plus loin que les Etats-Unis dans le désarmement nucléaire. En fait, si les Etats-Unis n’ont pas fermé le site du Nevada, c’est d’abord parce qu’il est nécessaire d’en continuer la surveillance, de gérer les déchets radioactifs générés par les essais nucléaires et d’y effectuer les essais sous-critiques. La France a, certes, réaliser de grandes économies en abandonnant les sites de Moruroa et Fangataufa, mais elle dispose sur son territoire nationale du site de Moronvilliers près de Reims où elle continue ses essais « sous-critiques ».
Le programme de restauration environnementale du site d’essais du Nevada a commencé en 1989. Il est financé par le Department of Energy (DOE) qui avait la responsabilité des essais. Les travaux engagés concernent les sols et les sous-sols. En 2006, il y avait 88 chantiers d’actions « correctives » pour les sols contaminés du site du Nevada, prévus pour se terminer en 2022. Selon les informations du DOE, environ 30 puits de prélèvements d’eaux souterraines permettent de faire des analyses régulières de la nappe phréatique. Tous ces travaux sont réalisés en étroite coopération avec les services de l’Etat du Nevada et les organisations représentant la société civile.
De nombreuses études réalisées par les services officiels américains (National Cancer Institute, Centers for Disease Control and Prevention…) et par des organisations privées (Federation of American Scientist, Institute for Energy and Environmental Research…) sur les répercussions sanitaires des essais nucléaires effectués au Nevada. Ces études dénombrent, sur la population américaine, environ 17 000 décès par cancer et 80 000 cas de cancers dus aux essais nucléaires. Les études officielles présentent des cartes de contamination de l’ensemble du territoire américain par les retombées des essais nucléaires (voir les illustrations).