Les zones géographiques de la loi Morin en question


La loi Morin et le projet de décret d’application retiennent des zones géographiques limitées où les personnes déposant un dossier d’indemnisation devront s’être trouvées pour bénéficier de la loi. La délimitation de ces zones semble avoir été établie en fonction de plusieurs critères : les retombées des essais aériens en Algérie et en Polynésie, la zone contaminée en Algérie à la suite de l’accident du tir souterrain Béryl du 1er mai 1962 et enfin, pour l’atoll de Hao selon la seule présence, entre 1966 et 1998, sur trois sites de l’atoll considérés comme à risques.

Les zones retenues pour l’Algérie


La loi Morin détermine deux zones géographiques et des dates précises :
- pour le Centre saharien des expérimentations militaires (CSEM), soit la base militaire de Reggane-Plateau, les installations en sous-sol du CEA et le champ de tir d’Hammoudia (plus de 100 000 km2) pour la période allant du 13 février 1960 au 31 décembre 1967
- pour le Centre d’expérimentations militaires des Oasis (CEMO) dont la délimitation sera difficile à établir (la montagne Taourirt Tan Afela, un site pour les expériences complémentaires au Tan Ataram, une base militaire à In Amguel, un centre civil Oasis 2…) pour la période allant du 7 novembre 1961 au 31 décembre 1967.
Le projet de décret est en contradiction avec la loi puisqu’il détermine seulement des « secteurs angulaires » très restreints à l’extérieur des deux zones retenues par la loi. Sur le plan géographique, c’est donc l’extrême confusion selon que l’on se réfère à la loi ou au décret.

Les zones retenues pour la Polynésie


La loi Morin inclut Moruroa et Fangataufa dans la zone géographique concernée pour la période allant du 2 juillet 1966 au 31 décembre 1998. Elle ajoute « certaines zones de l’atoll de Hao » pour la même période et « certaines zones de l’île de Tahiti » pour la période allant du 19 juillet au 31 décembre 1974. La loi élargit la zone géographique « à des zones exposées de Polynésie française inscrites dans un secteur angulaire » pour la période allant du 2 juillet 1966 au 31 décembre 1974.
Le projet de décret précise les « certaines zones » et le « secteur angulaire ». Curieusement, pour Hao, les zones retenues comportaient des activités à risques radioactifs à l’époque des essais aériens, omettant le fait que non confinées, ces activités laissaient s’échapper des effluents gazeux ou liquides radioactifs sur la totalité de cet atoll habité par une population locale et une garnison militaire de plus de 1000 personnes.
Concernant Tahiti, la zone retenue est la presqu’île, contaminée par les retombées de l’essai Centaure du 17 juillet 1974 alors que nous disposons de preuves officielles sur 31 retombées radioactives qui ont affecté Tahiti entre 1966 et 1974.
Le « secteur angulaire » est précisé par le projet de décret et inclut les îles Gambier et les atolls de Tureia, Pukarua et Reao. Délimitation étonnante, quand on apprend, de source officielle, que plus de 200 retombées radioactives des essais aériens ont affecté tous les archipels polynésiens.

Les protestations polynésiennes


La question des zones géographiques - c'est-à-dire, l’étendue des retombées radioactives des essais aériens – n’est pas nouvelle pour les Polynésiens. Alors que les autorités du CEP affirmaient dès 1966 que les nuages radioactifs des explosions se dirigeaient en direction de l’Est sur le Pacifique, le National Radiation Laboratory de Nouvelle-Zélande publiait chiffres et graphiques des radiations gamma mesurées après les essais de Moruroa aux Iles Cook, à Samoa,… qui se trouvent à l’ouest de Moruroa. Les nuages radioactifs affectaient donc toute la Polynésie.
La première confirmation publique des retombées radioactives sur la Polynésie a été rendue publique dans le rapport de l’AIEA qui, en 1998, notait que 5 essais aériens avaient dépassé les normes. Enfin, le ministère de la Défense publiait, en 2006, « La dimension radiologique des essais nucléaires français en Polynésie » où l’on dénombre plus de 200 retombées radioactives des essais aériens. Cette reconnaissance très tardive n’est pourtant pas retenue par la loi Morin, d’où la protestation des élus, du gouvernement et des associations polynésiennes.
En 2010, les promoteurs de la loi Morin se défendent en affirmant que ces retombées n’étaient pas significatives et ne pouvaient pas affecter la santé et l’environnement des Polynésiens.

Contamination alimentaire


Selon les règles adoptées par les Nations Unies, l’UNSCEAR doit recevoir un rapport annuel de l’impact des activités nucléaires des Etats dotés d’installations ou activités nucléaires, civiles ou militaires. La France s’est conformée à cette règle et, du temps des essais nucléaires en Polynésie, a envoyé à l’UNSCEAR un rapport annuel intitulé « Surveillance de la radioactivité ». Ces rapports ne sont pas secrets, mais ils ont été diffusés seulement à quelques exemplaires. On y trouve les résultats des mesures prises par les services spécialisés du contrôle biologique au CEP dans les îles de la Polynésie, sauf dans les atolls nucléaires et les îles ou atolls voisins où les mesures sont restées secrètes.
La comparaison entre les mesures de radioactivité prises à l’époque des essais aériens (1966-1974) et celles prises aujourd’hui en Polynésie ou en métropole est éloquente. Pendant la période des essais aériens, la contamination « artificielle » (due aux retombées) des produits alimentaires consommés par les Polynésiens de tous les archipels était parfois de 10 à 100 fois, ou même plus élevée que ce que l’on mesure aujourd’hui !
Il est donc absolument exagéré d’affirmer que les retombées radioactives des essais aériens n’étaient pas significatives et les Polynésiens de tous les archipels sont en droit de présumer que la consommation de produits contaminés a pu affecter leur santé. La France doit reconnaître ces faits et étendre les « zones géographiques » de sa législation d’indemnisation à l’ensemble de la Polynésie.





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