La recherche des sites
1957 – En plein désert saharien
L’ « officialisation » du premier essai atomique de la France, le 11 avril 1958, avait été concrètement préparée depuis longtemps. Après des expéditions de reconnaissance au Sahara, la région du Tanezrouft fut choisie. Le 10 mai 1957, le résident général à Alger classa comme terrain militaire une zone de 108 000 km2 au sud-ouest de Reggane et des travaux gigantesques furent engagés à partir d’octobre 1957.
Tous ces travaux ne nécessitaient pas de main d’œuvre spécialisée. On employa, bien sûr, des milliers de jeunes soldats du contingent, mais aussi les hommes des palmeraies de la région désignés sous les appellations « Populations Laborieuses du Bas Touat »,
PLBT ou encore « Populations laborieuses des Oasis »,
PLO. Ces derniers reçurent l’appellation péjorative de « pelos » qui est restée dans le vocabulaire argotique.
Malgré cet immense chantier qui fit surgir en plein désert une « ville » pouvant accueillir près de 5000 hommes et des installations pharaoniques sur le « polygone d’expérimentation », les dirigeants français furent contraints, dès les débuts de la construction de Reggane, à commencer des recherches pour trouver des sites d’essais souterrains.
1958 – Les recherches d’alternatives
Avant même le retour du général de Gaulle, le général Ailleret écrit le 18 avril 1958 :
« Il n'est pas exclu que des circonstances extérieures amènent à renoncer dans un proche avenir à l'utilisation d'un champ de tir saharien, soit qu'intervienne sur le plan international une renonciation générale à des essais susceptibles d'entraîner une contamination radioactive du globe, soit que l'internationalisation du conflit algérien ou l'insécurité en AFN introduise des conditions qui ne pourraient plus permettre l'exécution commode d'essais sahariens. »
Conscient de ces « circonstances extérieures », le général Ailleret ne mentionne pas d’autres raisons « techniques » à cette recherche de sites alternatifs. L’ambition de la France est d’accéder à la bombe H qui fera les grandes nations. Or les conditions de sécurité politique et les dimensions du champ de tir saharien ne permettraient pas les expérimentations de la bombe H. Il fallait donc convenir que Reggane ne serait qu’un site provisoire pour les premiers essais aériens de la bombe A.
De plus, les discussions entre puissances nucléaires s’orientant vers le maintien des expérimentations souterraines, il fallait que la France poursuive des recherches pour des sites souterrains.
Plusieurs alternatives furent envisagées en France métropolitaine (Alpes), au Sahara et en Corse pour des essais souterrains, puis « sur quelques îles de souveraineté française » dans le Pacifique pour des essais thermonucléaires.
1961 - 1962 – Le choix du Pacifique
Depuis le 13 février 1960, les premières bombes françaises ont explosé au-dessus du polygone de tir d’Hamoudia. Les négociateurs des accords d’Evian pour l’indépendance de l’Algérie laissèrent un répit de cinq ans à la France, jusqu’au 1er janvier 1967.
Sur le plan international, après un voyage triomphal du Président Krouchtchev aux Etats-Unis en septembre 1959 et avec l’invitation du général de Gaulle pour la tenue d’une conférence internationale sur la paix à Paris à la mi-mai 1960, le monde croit au « dégel » de la guerre froide. Hélas, la situation se dégrade avec l’affaire de l’avion espion américain U2 abattu au dessus de l’URSS le 10 mai 1960. La conférence de Paris est un échec avec le départ précipité de Nikita Krouchtchev dès le lendemain de son ouverture.
La dégradation des relations internationales s’est poursuivie et, sur le plan nucléaire, les quatre explosions aériennes de la France en 1960 et 1961 contribuent à ce que les autres puissances nucléaires décident la reprise de leurs essais aériens à partir du 1er septembre 1961. L’année 1962 détiendra un sinistre record avec 171 essais nucléaires dont 110 en atmosphère. A cela s’ajoute la crise des missiles de Cuba. En mai 1962, le président Krouchtchev tente l’implantation de missiles nucléaires à Cuba, rendant ainsi vulnérable le territoire même des Etats-Unis. La détermination du nouveau président des Etats-Unis, John Kennedy, permettra d’éviter le conflit nucléaire entre les deux super puissances.
C’est donc dans ce contexte de pleine guerre froide que la France se détermine sur le choix du Pacifique pour ses prochains essais thermonucléaires.
Les sites étudiés en France métropolitaine de fin 1958 à avril 1960
Jean-Marc Regnault, historien
Les ingénieurs se sont intéressés à :
• la Tête de la Boulière (cime de Pal) dans les Alpes maritimes et au Grand-Goyer (Basses Alpes). Ces deux sites ne peuvent pas être retenus (raisons techniques).
• la haute vallée du Fournel, près de l’Argentière (Hautes Alpes), la haute vallée du torrent de Couleau, près de Saint-Clément (Hautes Alpes) : même chose.
• la Tête de Clausis (ou Tête de Vautisse ?) et la Crête des Pranetz ou Prénetz (Hautes Alpes), dans le flysch (formation rocheuse constituée de divers détritus de roches). Pour le premier, la galerie passerait dans le socle cristallin : l’isolement ne serait pas suffisant. Pour le deuxième, aucune objection particulière n’est avancée, mais il faudrait procéder avec beaucoup de prudence (venues accidentelles d'eau sous pression, zones de moindre résistance dans la couverture du site) et un délai de plusieurs mois pour des études s’avère nécessaire, l’hiver n’étant pas propice aux études de terrains.
• la Corse n’a pas donné de résultat positif (le Désert des Agriates, puis le massif de l’Argentella avaient été envisagés).
Les populations n’ont naturellement pas été averties de ces recherches. Cependant il y a eu des bruits qui ont couru en Corse en mai 1960, après le passage de techniciens du CEA. Il est vrai, que Pierre Guillaumat qui avait été ministre des Armées (et ministre délégué auprès du Premier ministre en 1960) a reconnu que des études avaient menées dans le massif de l’Argentella où « la qualité des roches et le volume du massif permettent d’absorber dans des conditions réelles de sécurité, des explosions de faible importance, chimiques et nucléaires ».
Si un tel projet devait voir le jour, précise Pierre Guillaumat, « aucune retombée radioactive n’est à craindre : par suite de la fusion et de la vitrification de la roche, le centre de l’explosion devient une cloche hermétiquement close ». Devant l’émotion suscitée en Corse, le Premier ministre Michel Debré a fait cette mise au point :
« Le programme atomique dans lequel s’est engagé la France a amené le gouvernement à envisager de nombreuses éventualités. Celle de l’implantation dans le massif de l’Argentella d’un centre souterrain d’expérimentation nucléaire en était une parmi d’autres et elle est restée au stade des études ».
Le conseil général de la Corse a adopté à l’unanimité une résolution (21 mai 1960) considérant que la menace n’était pas écartée malgré les déclarations du Premier ministre, et affirme « son opposition irréductible à ce projet ». Le 4 juin, le Premier ministre confirme que le projet est abandonné.
On notera les difficultés politiques qu’il y aurait eu à installer un centre d’expérimentation en Corse ou sur le continent européen. Les responsables politiques français n’ont vraisemblablement envisagé cette hypothèse que dans les cas extrêmes d’impossibilité totale de l’installer outre-mer. Néanmoins, il faut savoir que le général de Gaulle tenait tout particulièrement à doter la France de l’arme atomique et qu’il était prêt à presque toutes les solutions pour l’obtenir.
Les problèmes de sécurité
C’est un sujet très sensible et très « politique ».
Il n’entre pas dans le cadre de ce cours de l’aborder complémentent. Dans le cours sur le traité de Rarotonga, il y sera cependant fait allusion.
Cependant, sur le plan historique il est normal de porter à la connaissance du public les documents qui peuvent aider à la réflexion. Les archives du CEP contiennent des études menées en janvier 1962 sur les retombées possibles après des explosions sur un point zéro en mer ou avec un ballon. Le chef du département des essais au CEA se livre à de nombreux calculs prenant en compte les différentes hypothèses (puissance de l’explosion, profondeur de l’eau, hauteur des vagues, doses radioactives selon le temps écoulé…). Ce n’est qu’après ces études que les conditions dans lesquelles une explosion pouvait avoir lieu sans danger ont été fixées. Ce qui ressort des documents, c’est que les responsables ont eu la volonté de ne prendre aucun risque. Les documents que nous avons étudiés ne disent pas si lors des explosions toutes les prévisions se sont réalisées.