Les élus polynésiens et les projets atomiques


Premiers signaux de l’installation du CEP

Dès 1961, l’évolution du conflit algérien s’orientait vers la solution de l’indépendance. Et cela posait directement la question de la poursuite des essais nucléaires au Sahara. Le Pacifique devenait l’alternative et c’est ce qui inquiéta le député de la Nouvelle-Calédonie, Maurice Lenormand. Le 24 octobre 1961, il interroge le ministre de la France d’outre-mer qui dément qu’un transfert des essais soit envisagé en Nouvelle-Calédonie ou même dans le Pacifique. Fin février 1962, le périple polynésien des « prospecteurs » n’était pas passé inaperçu à Tahiti. Les élus locaux n’ignoraient ni la situation algérienne (le cessez-le-feu était prévu pour le 19 mars) ni l’identité de quelques-uns de ces curieux voyageurs : le général Thiry directeur des essais atomiques au Sahara et Jean Viard, directeur des essais au CEA.

Peu après, alors que le sénateur de la Polynésie, Gérald Coppenrath, s’était inquiété des éventuelles retombées radioactives des essais thermonucléaires américains sur l’atoll de Christmas qui devaient débuter le 25 avril 1962. Prévoyant les réactions polynésiennes, les autorités françaises dépêchèrent à Tahiti un expert du Commissariat à l’Energie atomique, le professeur Jamet qui tint une conférence à Papeete le 21 avril. Le sénateur Coppenrath y assistait. Il rédigea un compte-rendu des propos du docteur Jamet que l’on peut considérer comme l’un des premiers argumentaires des « essais propres » (américains ceux-là !). Ainsi, malgré la relative proximité entre l’atoll de Christmas et l’archipel des Marquises, les Polynésiens, selon l’expert du CEA, « n’ont pas à craindre une contamination par les poissons » et si c’était le cas, « leur ingestion n’est pas dangereuse ».

A cette date où, à Paris, il avait été décidé de transférer le centre d’essais atomiques à Moruroa, il semble que la conférence du Dr Jamet avait un autre objectif : les essais américains de Christmas allaient servir de prétexte au CEA pour « disposer un quadrillage permanent d’observations sur le territoire »… aux frais de l’Etat. Avant même l’arrivée des militaires du CEP, les infrastructures de surveillance biologique et radiologique du CEA se mettaient en place !

Le sénateur et les élus polynésiens unanimes

Gérald Coppenrath, sénateur de la Polynésie en 1962. La conférence du Professeur Jamet n’avait guère convaincu le sénateur Coppenrath. Du 25 avril au 11 juillet 1962, les Etats-Unis effectuèrent 24 essais thermonucléaires de grande puissance au-dessus de l’atoll de Christmas. De quoi inquiéter les élus polynésiens « unanimes » qui demandèrent au sénateur de se faire leur interprète, à Paris, auprès du ministre des Affaires Etrangères.
Une nouvelle fois, la réponse ministérielle était rassurante. D’une part, le gouvernement américain aura pris « toutes mesures utiles afin de préserver les populations des territoires avoisinants de tout danger ». D’autre part, - confirmation -, le CEA a disposé des installations qui permettent de mesurer la radioactivité et « de vérifier que les seuils de contamination admis par les organisations internationales compétentes, ne sont pas atteints ». Quarante cinq ans plus tard et après 193 explosions nucléaires à Moruroa et Fangataufa, le discours officiel de la France est inchangé !

Début juillet 1962, le choix du Pacifique comme « polygone d’essais nucléaires » fait l’objet d’une incise dans un discours du ministre des Armées, Pierre Messmer. Ceci vaut une nouvelle intervention du sénateur Coppenrath, lors d’une séance au Sénat le 11 juillet 1962.

Le sénateur de la Polynésie interpelle le ministre des Territoires d’outre-mer en le priant « de dire au gouvernement que la construction d’un polygone d’essais nucléaires en un point quelconque de la Polynésie se heurterait à une véritable résistance des populations. »


Il est probable que le sénateur exagérait quelque peu les risques de « résistances des populations » ! Néanmoins, l’avertissement de Gérald Coppenrath a dû inquiéter les responsables politiques et militaires du transfert du centre d’essais nucléaires en Polynésie. Après les rumeurs, ils allaient abattre leurs nouvelles cartes : la désinformation et les promesses de développement. Dans ce but, dès 1962, la presse polynésienne allait être instrumentée, pratique qui s’est poursuivie, à part quelques exceptions, pratiquement jusqu’à la fin des essais. L’article de l’hebdomadaire « Les Débats » du 20 août 1962 est un exemple caricatural la propagande en faveur du CEP.

Convaincre les élus polynésiens

La délégation de l'Assemblée territoriale devant l'Elysée, fin 1962. Fin 1962, le gouvernement parisien était suffisamment informé de l’état d’esprit des populations polynésiennes. Avec l’arrestation de Pouvanaa, la ferveur populaire ne disposait plus de son « metua » et la « résistance » populaire à l’installation d’un centre d’essais nucléaires ne paraissait guère assurée. A défaut de convaincre l’ensemble des élus politiques polynésiens, Paris joue plutôt sur leurs divisions pour mener à bien l’implantation du CEP.

Le 3 janvier 1963, une délégation de l’Assemblée territoriale fut reçue par le général de Gaulle à Paris. Le 16 septembre 2005, lors de son audition devant la Commission d’enquête de l’Assemblée de Polynésie, l’ancien sénateur Gérald Coppenrath raconta que le Général « fît état de ce que la Polynésie étant le seul Territoire de la République approprié à recevoir ce centre, il ne pouvait renoncer au projet. Il donna l'assurance que toutes les précautions seraient prises et que la construction du centre s'accompagnerait d'investissements considérables qui seraient utiles à l'ensemble des habitants qui, sur le plan économique et social, bénéficieraient pendant des années des retombées favorisant le développement. »

Le vœu de l’Assemblée Territoriale, émis le 4 février 1963, au retour du voyage parisien, montre clairement que la page de l’opposition frontale est tournée. Les élus polynésiens signataires de ce voeu considèrent que le projet d’implantation du CEP provoque certes « l’émotion des population », mais ils estiment que c’est un fait acquis. Ils recommandent seulement les « précautions » sanitaires et préconisent un « effort d’investissement public » permettant le développement économique de la Polynésie.

Commodo-incommodo : l’Eglise protestante s’en mêle

Papeete, le pasteur Jean Adnet en 1963 : une enquête commodo incommodo pour Moruroa. En janvier 1963, le mensuel protestant de langue française de la Polynésie, « Notre lien », dirigé par le pasteur Jean Adnet titre sur sa Une « Pour une enquête commodo-incommodo dans le Territoire ». En clair, l’Eglise protestante estime qu’il appartient à la population de Polynésie française de dire si elle veut ou non de telles installations.
Cette prise de position irrita fortement le général de Gaulle. Le pasteur Adnet se trouvant en déplacement en France au moment de la parution de « Notre lien » fut interdit de séjour à Tahiti ! Il fallut une intervention directe du président de la Fédération protestante de France auprès du Général pour que, six mois plus tard, le pasteur Jean Adnet puisse retrouver ses paroissiens de Béthel à Papeete.

Visite guidée au Sahara

In Amguel. La base des civils (1962) En juillet 2003, une délégation de l’Assemblée territoriale fut invitée à une visite du Centre d’expérimentations Militaires des Oasis dans le Hoggar où la France effectuait des essais nucléaires souterrains. Rien à voir, donc, avec ce qui devrait se passer à Moruroa où les bombes exploseraient en plein ciel. D’autre part, la visite fut de courte durée – une journée – et le général Thiry, Directeur des essais, leur montra surtout la bonne organisation d’un site d’essais. Il n’y eut aucun tir dans la montagne d’In Eker lors de leur passage. On se garda bien de leur décrire l’accident de tir du 1er mai 1962 où la puissance de l’explosion fit sauter toutes les sécurités. On ne leur montra pas non plus la zone importante qui fut contaminée après cet accident et qui l’est encore aujourd’hui près de 50 ans plus tard.


Jean-Baptiste Céran-Jérusalemy Jean-Baptiste Céran-Jérusalémy, un conseiller territorial qui était du voyage a donné son sentiment sur cette visite lors que son audition devant la commission d’enquête de l’Assemblée de la Polynésie le 7 septembre 2005 : « Quand j’ai vu que les militaires chassaient les nomades et leurs troupeaux qui se trouvaient à proximité de la montagne dans laquelle ils faisaient leurs tirs atomiques, j’ai pensé tout de suite que ces essais n’étaient pas bons pour nous aussi. Nous savions aussi que les Algériens ne voulaient plus d’essais chez eux et que les pays voisins, la Tunisie, le Maroc et les État s d’Afrique noire protestaient. J’ai compris que la Polynésie avait été choisie parce qu’il y avait moins de contestation ou du moins qu’elle avait été paralysée par l’exil de Pouvanaa. »



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