2 juillet 1966 – 5 h 34 – Moruroa : L’Heure H
Depuis le De Grasse, le vice-amiral Lorain donne le signal du tir après avoir consulté les chefs de la météo. Les conditions atmosphériques sont moins favorables que la veille, selon les rapports. Sur les bateaux bases, tout le monde est sur le pont pour assister au spectacle. M. Jacques Tauraa, président de l’Assemblée Territoriale ainsi que MM. Frantz Vanizette et Rudy Bambridge, Représentants, ont été invités sur le porte-avions Foch, mais aucun journaliste n’a été convié au spectacle. Les officiels et quelques personnels ont reçu des lunettes spéciales pour observer le début de l’explosion, mais la majorité devra se trouver le dos tourné à Moruroa jusqu’à ce que le haut-parleur du bord les autorise à regarder le déploiement du champignon.
Je fus fasciné
Avant de fuir l’atoll, nous jetâmes un dernier regard pour fixer dans notre mémoire ce que nous ne pensions plus revoir, cette envoûtante immobilité. Chahutés par la houle du large, nous attendions sans parler. Ces instants étaient hors de mots simples. Dans la nuit, seule la voix anonyme d’un speaker égrenait les chiffres du compte à rebours. Pendant ces minutes, on ne sait plus trop à quoi on va assister. J’avais l’impression d’être né dans un monde que je ne comprenais plus.
On a beau savoir que la bombe est un objet de mort, lorsqu’elle explosa, je fus fasciné par cette lueur disgracieuse, par ce lever de soleil artificiel que les hommes orgueilleux avaient créé pour tuer. Devant un tel spectacle, je pense que l’on ne décide pas de devenir pacifiste, on le devient. Alors que la lumière s’identifie à la vie, la soudaine clarté nucléaire portait le masque du trépas.
Jean-Claude Lamatabois
Les irradiés de la République